ATTENTION, TENDRESSE ET SIMPLICITÉ
La vérité parle un langage sans détour, et la justice n’a que faire d’explications compliquées. Elle trouve en soi son opportunité, tandis que l’injustice, viciée en son essence, réclame des sophismes pour remède.
Euripide (v. 480-406 av. J.-C.) Les Phéniciennes (v. 410 av. J.-C.)
Jouer de simplexité, ce n’est pas simplifier, c’est parler et sentir plus simplement !
Laurent Schaller, médecin généraliste
À partir de la simplicité et de l’attention lors d’une anamnèse contextualisant un moment symptomatique, c’est-à-dire grâce à un pacing pur, il est possible de condenser la complexité allant jusqu’à celle de plusieurs pathologies intriquées ou des troubles physiques médicalement inexpliqués. Cette hypothèse (im)pertinente est d’une étonnante utilité pour démêler des situations compliquées et permet d’apprendre et d’enseigner le courage utile pour aimer le symptôme afin d’en prendre soin.
Le terme de simplexité revient à Alain Berthoz, professeur honoraire en neurophysiologie au Collège de France et membre de l’Académie des Sciences.
Pour survivre dans un monde d’une prodigieuse complexité, le cerveau applique naturellement des stratégies visant à simplifier la perception, le mouvement, la décision et les sentiments.
La notion de simplexité résume une remarquable nécessité biologique apparue au cours de l’évolution pour permettre la survie des animaux et de l’homme sur notre planète : malgré la complexité des processus naturels, le cerveau doit trouver des solutions, qui relèvent de principes simplificateurs, en tenant compte de l’expérience passée et en anticipant l’avenir. Elles facilitent aussi la compréhension des intentions d’autrui.
En complément des « théories de la complexité » qui font foison, il faut construire une «théorie de la simplexité ». Elle peut s’inspirer de propriétés fondamentales du vivant en prenant l’exemple des neurones-miroirs.
Le cerveau est une machine biologique qui simule la réalité grâce à des représentations mentales de celle-ci, tout comme nous avons le rêve qui simule le monde. Nous apprenons en formant des images, disait Erickson. Donc, en parallèle avec le fonctionnement sensorimoteur, au cours de l’évolution se sont développés des mécanismes de simulation mentale du mouvement.
Des neurones « prémoteurs », les neurones miroirs codent l’action, qu’elle soit produite par le sujet ou par autrui. Lorsque l’on exécute un geste ou que l’on observe un geste, des neurones du cerveau sont activés. Les mêmes structures cérébrales sont impliquées dans l’observation et dans l’exécution d’une action. Quel beau principe « simplexe » qui nous permet de comprendre l’action d’autrui !
L’activation du « système miroir », qui a cette capacité de « résonance », est d’autant plus grande que nous sommes attentifs à l’autre et que nous sommes familiers avec l’action ou que nous l’avons pratiquée. Un joueur de football ou un sportif qui est familier avec le jeu qu’il voit à la télévision, ou sur le stade, aura l’impression qu’il joue lui-même, ou fait le geste, beaucoup plus qu’un amateur. L’imagerie motrice n’est donc pas abstraite, mais incarnée dans les mécanismes de l’exécution. Le thérapeute entraîné à vouer toute son attention au patient, sans devoir penser, sera bien plus simplement en résonance avec son patient.
La notion de simplexité est donc étroitement liée à celle d’attention qui, à son plus haut degré, est la même chose que la prière (Simone Weil, OE, VI-2, 297).
L’attention consiste à suspendre sa pensée, à la laisser disponible, vide et pénétrable à l’objet, à maintenir en soi-même à proximité de la pensée, mais à un niveau inférieur et sans contact avec elle, les diverses connaissances acquises qu’on est forcé d’utiliser.
Dans la prière, la pensée est orientée vers ce qu’on sent plutôt que vers ce qu’on sait. Pour le thérapeute, il ne s’agit pas de guérir et même pas d’abord de soigner. Sa première tâche est l’attention, sa deuxième tâche, d’aider le patient à se soigner (ou à se laisser soigner). Ce n’est pas le thérapeute qui guérit, c’est la nature, c’est Dieu, c’est ce qui comprend le patient.
« Je le pansai, Dieu le guérit » Ambroise Paré
« L’art de la médecine, c’est de distraire le patient pendant que sa nature le guérit » Voltaire
« La maladie est un effort que fait la nature pour guérir » C. G. Jung
D’autre part, ce qui touche la personne, c’est ce qui est incarné. Tout symptôme, toute émotion sont incarnés, ressentis dans le corps et par le corps via les sens. Il est donc impossible de soigner sans une centration sur le corps, quitte à laisser la pensée en retrait. Il y a une opposition néfaste entre l’évidence de ce que l’on ressent et nos vérités intellectuelles qui tendent à compliquer le problème.
Ce ne sont pas les événements, les faits, mais l’expérience subjective qui nous rendent vivants. La vie est créée par des événements, mais ceux-ci ne peuvent se transformer en expériences que si nous savons les interpréter, lorsque nous cherchons à les comprendre (Olga Tokarczuk). Et pour comprendre, pour intégrer le symptôme, il est important d’appendre à l’accueillir avec tendresse, variante la plus humble de l’amour qui n’apparaît que quand nous tournons un regard attentif et concentré vers l’existence de l’Autre. La tendresse est spontanée, désintéressée (il ne s’agit pas de réussir un traitement), elle va beaucoup plus loin que l’empathie compassionnelle (ibid).
Nous touchons ici à la dimension narrative du symptôme avec cette tendresse qui perçoit les liens entre nous, nos ressemblances et nos similitudes. Avec l’attention qui lui est propre, elle est le principe actif d’un regard grâce auquel le monde apparaît vivant, vibrant de ses liens internes, de ses échanges et de ses interdépendances (ibid).
1ère Vignette (de supervision)
Une collègue interniste de 42 ans vient pour la première fois en supervision chez moi. Elle me présente le cas d’un patient de 65 ans qui se plaint d’une douleur rétrosternale haute réfractaire et inexplicable. Les examens cardiaques, digestifs et ORL approfondis n’ont pas permis de comprendre ces douleurs survenant plutôt au repos mais aussi à l’effort. Le patient ne fait guère de lien avec une ou l’autre expérience interactive, au moins selon les souvenirs de sa doctoresse qui commence à se sentir agressée par cette plainte alors que le patient ne prend pas la médication à visée symptomatique. Elle a de la peine à avaler ce qui la met en situation d’impuissance. Elle se demande comment soigner le patient sans se soi-nier !
Je demande à ma collègue de prendre la place du patient, de jouer le patient en face de moi et de s’associer au problème de celui-ci, simplement pour le reconnaître. J’insiste pour qu’elle parle au présent.
-C’est une brûlure que je sens ici (en montrant le haut du sternum).
-Vous pouvez la ressentir maintenant pour la reconnaître.
-Oui un peu
…ce qui suffit pour que la suite de l’expérience soit en lien avec ce trouble.
L’induction proprement dite permet ensuite simplement à la thérapeute qui joue le rôle de son patient de bien se sentir à sa place, ici, dans cet espace de supervision, en présence du superviseur bienveillant, d’abord dissocié-e du trouble. Une fois à l’aise à sa place, elle/il peut faire une place -mais pas toute la place- au trouble.
-Mettez-vous à votre place. D’abord en sentant les pieds par terre…pour ne pas se prendre la tête. Laissez-vous respirer autant que possible…. Vous êtes à votre place et parce que vous vous sentez à votre place, vous pouvez faire en vous une autre place à votre brûlure qui, elle aussi, peut se sentir à place, sans besoin de changer, sans devoir envahir votre corps.
Il lui est demandé de se rappeler un épisode douloureux marquant. Où cela se passe-il ? Quelle heure est-il ? Que fait-il ? Quelle est sa place dans le lieu déjà détaillé ? Il peut voir son habillement de ce jour-là, certaines parties de son corps,…et la place d’autre(s) personnes présentes…et les interactions. Le superviseur n’ajoute rien à ce que dit la supervisée, il ne fait que répéter et interroger selon les cinq sens. Alors que la scène peut encore être dissociée, ne comportant donc que les dimensions visuelles et auditive, il est demandé de faire attention à la douleur en haut de la poitrine, pour la reconnaître, pour la laisser se réifier, s’animer, peut-être se personnifier. Ce faisant, la dimension kinesthésique est encouragée pour que la partie symptomatique soit associée.
-Quand vous êtes à votre place ici, quand vous percevez ma présence même avec les yeux fermés, vous pouvez donner une place à cette brûlure, cette partie de vous-même qui ne se sent pas encore comprise.
-En même temps, j’aimerais vous demander si je peux prendre votre main
-Oui (avec un sourire marquant la surprise)
-Je soulève votre main à cette hauteur et vous allez vous-même contrôler volontairement la position de cette main. Sentez la force que vous mettez dans votre coude, dans votre épaule alors que vous pouvez libérer le poignet…c’est bien.
Je lâche doucement la main.
-Et pendant que vous contrôlez une partie de ce qui se passe dans cette main, vous pouvez être attentif à votre brûlure, cette partie sauvage de vous qui demande une place à sa manière, qui demande à être comprise, à être prise avec…alors qu’on n’a trop cherché à la chasser jusqu’ici, parce qu’il est difficile de l’aimer. Comment la voyez-vous ? Comment la sentez-vous ?
-C’est comme un bouquet de flammes….des flammes roses,…des flammes qui crépitent
-Des flammes qui crépitent ?
-Et qui réchauffent
-Elles vous réchauffent au lieu de vous brûler ?
-Elles se transforment…
-Elles vivent ?
-Comment votre épouse qui est présente sait-elle que ces flammes vivent dans votre poitrine ?
-Elle voit que je soupire, elle ne sait que faire
-Elle ne sait que faire et vous pouvez soupirer sur les flammes ou à travers ces flammes ?… Que deviennent ces flammes ?
…
-Je devine un bébé …bien réchauffé
-Sentez la place que le bébé peut prendre librement…et demandez-vous ce que cette main que vous pouvez toujours contrôler, demandez-vous comment elle sent l’envie de donner, de venir peut-être toucher le bébé, peut-être pour lui donner un peu de fraîcheur ?
(la supervisée pleure doucement)
…..
-Et cette partie de vous peut attendre d’être touchée, prise en main. Que ressent-elle quand elle attend, comme un bébé attend…une bonne surprise ?
La main vient doucement se poser sur la poitrine, la collègue-patient soupire, détendue.
-Et vous pouvez laisser cette main donner ce qu’elle sait donner aussi longtemps que votre partie autrefois négligée a besoin de recevoir. Quand vous pouvez facilement ouvrir les yeux à la troisième inspiration volontaire et profonde, vous retrouvez votre place ici, un peu autrement mais avec une conscience tout à fait efficiente pour la suite de la journée, de la semaine…
La reprise s’accompagne de la prescription de répéter le geste chaque fois que le symptôme le demande (Il suffit d’un geste !)
Lors du compte-rendu qui suit la transe, la collègue peut faire le lien avec sa vie quand son père souffrait d’un cancer de l’œsophage alors qu’elle était enceinte, à la fois en colère contre son père dont la maladie l’empêchait d’être plus attentive au bébé à naître. Pendant l’expérience, la supervisée est tantôt associée aux brûlures du patient, tantôt à la présence de son propre bébé. C’est ce qui lui permet de trouver en elle une tendresse inattendue pour son patient difficile qui, lui non plus, ne sait pas encore comment être tendre avec son trouble.
Elle déclare : je sais maintenant que j’aime ce patient ! Je le sens !
2ème vignette clinique
Femme de 52 ans qui m’est envoyée par son médecin de famille pour traitement par hypnose de fibromyalgies avec attaques de panique.
Elle nous dit notamment n’avoir jamais eu l’impression d’être acceptée comme fille par ses parents. On lui a diagnostiqué un SSPT après un accident de circulation dont elle n’est pas responsable. Ce diagnostic a été posé mais sans expliquer ce dont il s’agissait. Elle a l’impression qu’on ne reconnaît pas ses souffrances, en dehors des douleurs musculosquelettiques( ?). Pour ne pas faire de crise de panique, elle se sur-occupe. Elle est donc agitée en permanence.
La première consultation lui permet d’apprendre à rester 5 minutes avec elle-même, c-à-d avec ses propres sensations spontanées sans avoir (trop)peur. Par une expérience 3-2-1 inspirée de Betty Erickson, elle peut utiliser ses sens pour se sentir en relative sécurité et percevoir ainsi un champ relationnel qui grandit, qui s’étend à l’espace de la consultation et qu’elle peut retrouver dans d’autres endroits par la suite.
Lors de la seconde consultation, alors qu’elle est déjà un peu soulagée, je lui demande de se rappeler un des derniers accès de panique en veillant à m’exprimer au présent de l’indicatif pour chaque question, pour chaque répétition :
-C’est quel jour de la semaine ?
-Et quelle date ?
-A quelle heure ?
-Où cela se passe-t-il ?
-Dans ma cuisine
-Vous êtes dans votre cuisine et que faites-vous, quelle est votre attitude ?
-Je regarde une voiture qui passe devant la fenêtre
-Vous êtes debout ?
-Oui
-Vous portez quels genres d’habits ?
-Je suis en jogging
-De quelle couleur ?
-Bleu clair
-Vous entendez la voiture que vous voyez passer ?
-Oui à peine, la fenêtre est fermée
Elle commence à hyperventiler légèrement
-Et vous respirez plus fort…Il y a quelqu’un d’autre dans la cuisine ?
-Non je suis seule.
-Et où dans votre corps sentez-vous le plus le malaise ?
-Dans la gorge
-Et vous pouvez avoir l’impression de manquer d’air….Quelle forme a ce malaise ?
-Une boule
-Chaude ou froide ?
-Chaude
-…..
-Voulez-vous me donner la main ?
Elle me tend la main droite d’un mouvement lent
-Et pendant que vous contrôlez la position de cette main en mettant de la force dans le coude, vous pouvez vous demander si la boule va changer d’abord ou si la main va commencer à se rafraîchir légèrement ?
-Je vous laisse contrôler la position d’abord fixée de cette main que je vais lâcher et qui peut continuer à se rafraîchir légèrement. Remarquez aussi comment vous laissez la boule changer quand elle prend sa place.
…
-C’est bien …vous vivez pleinement cette capacité à faire une autre place à votre malaise.
…
-Et vous pouvez vous demander si cette main fraîche va venir toucher cette boule chaude, comment cette boule peut attendre d’être touchée, d’être comme prise par la main….
…
-La boule devient plus orangée.
La main droite vient lentement en contact avec la gorge.
-Je vois comme un lever de soleil
-Qui peut se lever sur une autre image, une autre sensation ?
-C’est un bébé, un petit enfant qui s’agrippe.
-Vous lui donnez la main, c’est bien….
-En détachant la main, vous pouvez laisser le bébé à la bonne distance
…..
-et vous pouvez vous donner la permission de vous voir à travers les yeux du bébé (inversion de la perspective, nouvelle dissociation après l’association)
….
-Je vois une maman sereine et aimante !
-Et vous pouvez laisser l’enfant vous faire ressentir du bien dans votre corps…peut-être si vous l’embrassez ? (réassociation, intégration du problème devenu ressource)
Ce qu’elle fait !…
Et lorsque votre for intérieur saura pour toujours le bien qu’il peut recevoir quand on lui donne la main, vous vous retrouverez pleinement ici en prenant autrement les choses en mains, …vos mains que je vous propose de frotter l’une dans l’autre comme pour les réveiller.
Je frotte mes mains.
( Catamnèse superflue : Après cette consultation, la patiente n’a plus d’angoisse !
A noter qu’on lui avait aussi donné une tâche à domicile : écrire à une personne significative au moment de l’accident de la route. Elle a écrit à sa fille.
Les troubles anxieux réapparaissent après le décès subi d’une amie (anaphylaxie à une piqûre de guêpe) et celui de la mère à qui elle a pu manifester sa colère peu avant.
Pour la suite, il est utile de parrainer la colère, plutôt que de l’étouffer sous l’effet de psychotropes)
A la suite de cette vignette, revenons aux ingrédients inspirés par la simplicité et l’attention (dont procède la tendresse).
En revisitant les notions ericksonniennes de pacing et de leading, avec l’éclairage des relations du soi selon Stephen Gilligan, il est possible d’apprendre le courage utile pour aimer le symptôme pour en prendre soin et le prendre en main…mise en catalepsie.
Il s’agit de partir d’un moment symptomatique comme du grain de sable de Daniel Stern : si le champ relationnel est bien constitué, s’il permet à la fois la dilution du trouble et son expression sécure, tous les éléments utiles apparaissent spontanément, pas besoin d’aller les chercher par une quelconque anamnèse autre que synchronique.
- Le pacing, l’accompagnement
Le pacing est l’application la plus simple de l’utilisation qui se base uniquement sur ce qu’apporte le patient.
C’est l’inversion de l’hypnose comprise comme une manière d’influencer le patient pour qu’il collabore. Ici, le thérapeute se laisse influencer par le patient pour collaborer avec lui !
Le pacing intensifie le rapport,
il permet au patient d’être plus confiant,
au thérapeute d’être plus compréhensif.
Il est le feedback, la ratification du comportement et des expressions du patient.
Il n’ajoute aucun contenu.
L’accompagnement peut se faire verbalement par des descriptions de ce qui est observé, (éventuellement d’événements passés ou futurs inévitables) et non verbalement, par exemple en adoptant une position en miroir, en suivant le rythme respiratoire du patient.
Le leading, introduit des distinctions, des différences par rapport à l’état présent (congruence à la demande) et en accord avec le changement souhaité (pertinence du mandat).
Un exemple du passage du pacing au leading, de l’accompagnement à la conduite :
-Vous êtes assis à votre place (pacing)
-Vous sentez vos pieds posés sur le sol (pacing)
-Vous pouvez respirer à votre rythme (pacing)
-Et je suis en train de vous parler (pacing)
-Et vous pouvez faire attention à cette brûlure (leading)
- Le symptôme, le trouble à partir d’un contexte vécu
La contextualisation du vécu est indispensable pour être dans le ressenti et non dans le mental.
Il s’agit d’une anamnèse synchronique, d’un moment présent. La patiente sera donc amenée à parler au présent. Ce moment est sensoriel (VAKO) et respecte une unité de temps, une unité de lieu, une durée spécifique, une interaction spécifique.
La contextualisation est l’incarnation de l’anamnèse; Il s’agit de croire le patient, sans croire ce qu’il dit, sans prendre pour évident ce qu’il dit. En pacing, on le fait expliciter photo par photo (Stefano Colombo) avec une attention bienveillante en le laissant choisir les éléments qu’il veut laisser venir, en particulier dans le traitement du SSPT où trop de détails peut mener à une retraumatisation ! Il ne s’agit pas d’un debriefing inquisitoire !
La partie symptomatique jusque-là négligée est alors reconnue. Elle peut devenir une chose, un être vivant qui trouve sa place dans le corps du patient, là où peut se condenser tout le vécu actuel.
Parallèlement, se constitue un champ relationnel qui permet à la patiente d’être en relation sécure, en collaboration à la fois avec le thérapeute et avec le symptôme.
L’expérience permet de jauger la capacité de donner en réponse à une demande, mais aussi d’apprécier la capacité de recevoir (ou de refuser) ce qui est offert en don.
La lenteur est un ingrédient essentiel, souvent la seule garantie qu’une partie du vécu est involontaire (impossible de maintenir une catalepsie volontaire plus de 5 minutes).
Le symptôme (qui appartient au patient) a deux pôles ; un pôle cognitif qui est la représentation que s’en fait le sujet, et le pôle somatique qui est la perception gênante ou plutôt ce qui est perçu comme gênant.
Dès que l’on a pu reconnaître le symptôme, le réifier, le mettre à une certaine distance, il est possible de mieux percevoir le « soi relationnel », ou le contexte élargi de la perception, c’est-à-dire (re)construire des liens avec ce symptôme. En fait tout le système « ressent » le symptôme. Ce faisant, on considère que l’unité fonctionnelle de l’homme n’est pas l’individu (comme le veut le consumérisme ambiant) mais la relation dont le constituant fondamental est une sorte d’amour qui procède d’un certain courage. Et celui qui a le plus besoin de courage, c’est le patient pour parvenir à aimer son symptôme, sa partie négligée.
Le soi somatique est celui qui est perçu, qui est compris, le soi cognitif celui qui perçoit, qui comprend, le soi ou champ relationnel est la perception, la compréhension (qu’il ne faut pas confondre avec l’explication).
- La main mise en catalepsie volontaire
Quand le thérapeute demande à la patiente s’il peut lui emprunter cette main, l’attention est sur la calibration de l’engagement : le patient peut hésiter quant à la main à donner (malgré le langage non verbal du thérapeute qui est orienté vers une des mains). Si le patient la donne très facilement on peut prévoir une difficulté à se laisser aller cachée derrière une collaboration trop grande ; la main attend d’être prise en main,…
Ici, le thérapeute donne un contrôle (dé)libéré au patient pour qu’il mette sa main en catalepsie. La crainte de l’échec (bien qu’il en n’existe pas en hypnose) est caduque.
La main va être utilisée pour venir toucher le symptôme…ou pour mettre en valeur la difficulté de cette main à venir toucher le symptôme.
Addendas pratiques
On ressent le soi relationnel en répondant aux questions suivantes :
•Quand vous sentez-vous le plus vous-même (centré, en paix, non divisé, UN)?
•Que faites-vous quand avez besoin de vous connecter à vous-même?
•Dans quelle circonstance la vie n’est-elle pas un problème pour vous?
Plus simplement, comme dans l’exemple, patient et thérapeute établissent ensemble un espace relationnel de sécurité lors de l’induction (en pacing)
Symptôme = sentiment inacceptable dans le corps qui doit être nié, refoulé, supprimé, déconnecté (soi somatique)
« Quand le problème survient, où, dans votre corps, percevez-vous le plus le siège du trouble, le plus d’incomfort ?»
S’il est difficile d’obtenir une centration, demander au patient de changer de position ou le déplacer pour qu’une sensation prédomine
Résumé du processus adaptable
1) Assiette, assise dans le champ relationnel ici et maintenant
2) Perception du soi somatique, du trouble
3) Contextualisation (recherche d’un souvenir symptomatique) qui accentue 2. (ou le fait advenir)
4) Catalepsie d’une main en donnant au patient une capacité de contrôle, de prise en main.
5) Réification vs personnification du soi somatique (augmentation de l’association)
6) Laisser le soi somatique se transformer et (attendre de) recevoir tout en demandant à la main de donner.
Variante : la main du thérapeute se pose sur celle de la patiente, ou, directement sur la zone symptomatique, quitte à augmenter le trouble pour mieux le reconnaître comme lors d’un examen clinique physique.
De quoi vous aider à soigner sans vous soi-nier !
Bibliographie
-Gilligan S., Le courage d’aimer, Bruxelles, SATAS, 1999
-Roustang F., Il suffit d’un geste, Paris, Odile Jacob, 2003
-Stern D., Le moment présent en psychothérapie, le monde dans un grain de sable, Paris, Odile Jacob, 2003
-Tokarczuk O., Le tendre narrateur, Lausanne, Noir et Blanc, 2020