
Engagement pour une médecine générale curieuse
Je m’engage à enseigner ou plutôt à témoigner parce que je suis un omnipraticien bien installé dans un cabinet confortable, fier de l’être, un brin polémique, parfois révolté de sa faiblesse de persuasion peut-être utilisée avec trop de véhémence …tant qu’il ne faut pas un regain de courage comme face à un père sévère. Je m’engage aussi parce que je pense qu’il est possible d’enseigner une sorte d’humilité impertinente qui me semble d’ailleurs permettre au patient de se sentir plus reconnu dans ce qu’il vit.
Il y a dans cette belle profession et dans cet engagement plusieurs paradoxes dont je me plais à en relever trois comme des éléments dynamiques de notre cadre de soins :
- pourquoi chercher encore plus de travail dans l’enseignement alors que les généralistes (qui subsistent plutôt bien) en ont déjà tellement,…sinon pour mieux souligner que les consultations nombreuses sont une bonne prévention à la iatrogénèse ?
- comment concilier un questionnement incessant avec le patient comme paradigme de la consultation avec la nécessité de poser des diagnostics pas forcément rassurants, mais plus souvent perçus comme la marque de prise au sérieux par le patient, comme le pansement d’un amour propre chancelant ?
- comment rester dans son assiette, comment moins se prendre la tête et partager de façon mesurée ses états d’âme pour aider le patient à mettre à profit les liens qu’il peut faire entre ses troubles et sa manière de vivre, entre son désir et sa peur, son impossibilité de changer. … autrement dit comment médecin et patient trouvent-ils leur place dans le présent pour mieux anticiper l’avenir ?
De par ma formation en hypnose que j’enseigne également, je joue volontiers de la confusion et de la position basse (pour que la patient se réoriente et se relève mieux par lui-même) depuis que j’ai appris que la médecine académique ne me permettait pas d’expliquer les chatouilles de ma deuxième fille qui chicanaient toute la famille…sauf si j’admettais que Gulliver y jouait un rôle. Je me suis alors, peu à peu mais sûrement, passionné pour l’énigme de la relation thérapeutique.
L’hypnose (surtout informelle en médecine générale) constitue une excellente prévention du burnout, mais, plutôt que l’enseigner il me paraît urgent d’enseigner à nos successeurs de ne pas apprendre à ne pas hypnotiser, de ne pas rester trop crispés sur des guidelines (certes utiles) ou sur le contrôle de facteurs de risques au point d’oublier la personne du patient qui dispose de ressources, de facteurs salutaires souvent inexploités alors qu’ils peuvent être notamment mis en exergue par le placebo bien compris (en non pas perçu seulement comme un effet parasite à l’effet des traitements jugés scientifiques). Ce qui m’amène à déclarer que je pratique surtout une supervision dite orientée sur les solutions, sans quitter ce qui me paraît l’essence de la médecine générale : une perspective systémique avec la mise en valeur de liens à tous et entre tous les niveaux : individuel, sociofamilial, écologique, culturel, somatique, psychique, sans oublier le niveau du réseau interdisciplinaire où l’omnipraticien peut être bien plus qu’un trieur gestionnaire d’enveloppes budgétaires, ne serait-ce qu’en gardant un équilibre entre le dogmatisme de la pensée unique érigée en valeur suprême et le consumérisme où tout est remplaçable et donc sans valeur.
Puisse ce petit exposé un soupçon décalé laisser le lecteur mieux juger si je peux être d’une quelconque utilité dans sa supervision et sa formation.
Quelques articles dans la même veine :
Pourquoi ne pas apprendre à ne pas hypnotiser ou comment user du placebo persuasif: CHHypPasHypnoPlacebo copie
Anamnèse, représentation du patient: ICE 8e dimension
Attention et relation: médecine relationnelle ne pas apprendre à s’en passer
Marc Zaffran (Martin Winkler): Profession_medecin_famille